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Journaux
de 1786 à 1944
l’aventure de la presse écrite
en Basse-Normandie

Jean QUELLIEN - Christophe MAUBOUSSIN
Ed. Les Cahiers du temps - Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie, déc 1998

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Plan

  • 1786-1870
    • Des origines à la chute du Second Empire
    • Révolution
    • Empire
    • Restauration
    • Seconde République
    • Second Empire
  • 1871-1944
    • Des débuts difficiles
    • L’âge d’Or (1871-1880)
    • La presse à l'épreuve de la guerre
    • L'entre-deux-guerres
    • La Seconde Guerre Mondiale et ses effets

Introduction

Le régime instauré en 1870 et qui devait s'éteindre en 1940 demeure aujourd'hui encore le plus long que la France ait connu depuis la chute de l'Ancien régime. La naissance de nombreux journaux, aujourd'hui disparus, est contemporaine de l'émergence du débat politique. L'explosion des titres au début de la Troisième République s'explique parce qu' il " [...] a toujours existé, une étroite relation, en France, entre la vie politique, la presse et l'appareil médiatique [...] " écrit Marc Martin, auteur de Médias et Journalistes de la République1, livre remarqué lors de sa sortie en 1997.

SalengroLa presse, quelle que soit l'époque, est le reflet de la société et c'est avec une rapidité prodigieuse que l'on se retrouve plongé en pleine affaire Dreyfus, en pleine Séparation. Le climat qui régnait au début de la Troisième République puis jusqu'à sa chute tragique était délèterre. Les propos tenus alors étaient d'une rare violence. La diffamation était monnaie courante. Violemment pris à parti par l'extrême-droite pour avoir fait interdire les ligues - particulièrement bien implantées en Basse-Normandie, Roger Salengro, ministre socialiste de l'Intérieur du gouvernement du Front Populaire, mit fin à ses jours après une campagne de presse particulièrement odieuse.

C'est en usant de sous-entendus et autres jeux de mots douteux que le Courrier de Flers, organe du baron Roulleaux-Dugage, candidat ultra-conservateur, attribua à Georges Bidault, membre du Parti Démocrate Populaire, P.D.P., des pratiques sodomites... Si le débat a gagné en dignité, certains réflexes perdurent. Et c'est une classe politique déconsidérée, car atteinte par les affaires, qui apportait à ses adversaires, et sur un plateau, les verges qui devaient ensuite servir à la fouetter. Adversaires qui n'entendaient se servir de la démocratie que pour mieux renverser la République.

C'est également pour se garder des dérives autoritaires et fascistes - voir à ce sujet l'Ordre moral et Vichy - qu'il est bon de rappeler que la liberté d'expression est un droit inaliénable. Aucune loi n'interdira de s'exprimer. Même aux pires heures de l'Occupation, la presse clandestine circulait.

Première partie : 1786-1870

Des origines à la chute du Second Empire

La Génèse

Le premier journal de Basse-Normandie portait le titre d'Affiches, annonces et avis divers de la Basse-Normandie. Il était le déjà lointain héritier de la Gazette de France, créée en 1631 par Théophraste Renaudot. Publié la première fois le 2 janvier 1786, il était imprimé à Caen par l'imprimerie Poisson. Son fondateur, François Lepeltier, en confia la rédaction à Pierre Michel Picquot, jeune avocat, jusqu'à la nomination de François Moysant en 1788. Figure de la vie littéraire caennaise, Moysant était également censeur royal. Le choix de Lepeltier ne relevait donc pas du hasard. Il se prémunissait ainsi d'une censure aveugle. Cet hebdomadaire, tiré à 500 à 600 exemplaires, était vendu à Caen pour la somme de 6 livres par an.

Ce premier journal traça le chemin à de nombreuses autres feuilles. Ainsi, en janvier 1788 fut créé les Affiches, annonces et avis divers pour la province du Perche. Il s'agissait du premier journal d'obédience catholique puisque fondé par l'abbé Burat. Originaire de Mortagne, ce dernier officiait néanmoins à Paris. Il dut recourir aux services de l'imprimeur alençonnais Jean-Zacharie Malassis, lequel avait été embastillé en 1771 pour avoir publié des ouvrages interdits. Sa faible audience eut raison de son existence après un an d'exercice.

Révolution

Les tourments de la période révolutionnaire

Omniprésente sous l'Ancien Régime, la censure disparait sous les coups de boutoirs de la Révolution. Les Constituants, en rédigeant la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, firent de l'article 11 l'un des fondements de notre Société :

 

« La libre communication de la pensée et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans le cas déterminé par la loi ».

 
 

Pierre Michel Picquot créa en janvier 1790 le Courrier des cinq jours, lequel devint en 1791 lors de l'apparition des départements, Courrier du Calvados. Peu avant, Desmares, également avocat, avait fondé le Journal patriotique de Basse-Normandie, qui pouvait se targuer d'être le premier quotidien de la région. Conservateur, ce journal exprime sa défiance envers la Constituition civile du clergé, ce qui, en cette période confuse et pour la moins dangeureuse, incita semble-t'il Lepeltier à en cesser la parution.

Plus à l'Ouest, à Vire, un imprimeur, Jacques Malo, fonde avec un dénommé Lallemand, le Courrier des campagnes. Vendu 1 sou, ce journal est destiné aux masses populaires. Anticlérical, il exprime son aversion à l'encontre de l'Église dans son édition du 20 mai 1791 :

 

« Le mot Église, emprunté du grec, signifie assemblée du Peuple. L'Église de France est la société du Peuple qui habite le territoire français, c'est la Nation française. Combien est donc ridicule la présentation de ces hommes qui vous disent lorsqu'ils parlent : c'est la parole de l'Église et qui font consister le Peuple de Dieu dans une centaine d'évêques séditieux que Dieu et le peuple ont également réprouvés ! »

 
 

Dans la Manche, le premier journal fut créé en 1790 par Mithois, professeur du collège de Coutances. L'Argus fut le seul journal publié à cette époque jusqu'à l'apparition en 1792 des Entretiens patriotiques. 1792 marque le début de la Terreur et d'une lutte pour le pouvoir. Le Courrier républicain, organe des Girondins, s'en prend aux chefs de la Montagne, Marat et Robespierre, respectivement qualifiés de "scélérat" et "d'aboyeur sans génie, de crapaud, et d'insecte". Le coup de force des députés montagnards contre les députés girondins, le 2 juin 1793, sonne le glas du Courrier républicain. La chute de Robespierre (juillet 1794) et l'avénement du Directoire autorisent plus de tolérance, ce qui semble servir les journaux conservateurs. La Renommée de Mortagne ne semblait guère épouser la République. À Caen, le Journal général du Calvados affiche clairement sa symathie à l'égard de l'Ancien régime. En réaction, et devant les progrès des monarchistes, Jean Boulay-Malassis, fonde en septembre 1796, toujours à Caen, la Gazette universelle.

 

« Plusieurs journalistes font tous leurs efforts pour persuader que les jacobins redoublent d'activité afin d'anéantir la constitution. Mais pourquoi ne signalent-ils pas en même temps cette foule de royalistes qui, avec une tournure plus adroite, des formes plus mielleuses, ne visent pas moins au renversement de cette même constitution ? Eh quoi! parlera-t-on toujours des crimes des jacobins et jamais des horreurs commises par les chouans! Journalistes, qui vous dites amis de la vérité, si vous voulez qu'on croye à votre impartialité, signalez également tous ceux qui cherchent à détruire la république, à verser le sang humain, à nous ramener à l'anarchie pour conduire à la royauté ».

 

La victoire des royalistes aux élections pousse le Directoire au coup d'État du 18 fructidor (septembre 1797). Une quarantaine de journaux de droite sont interdits. Les lois des 19 et 22 fructidor placèrent la presse sous le contrôle de la police. À la fin du Directoire, seule la Gazette du Calvados subsistait jusqu'à sa disparition en juin 1799, ce qui laissa la région sans presse jusq'en septembre, avec l'apparition de la Gazette des départements de l'Ouest.

Les circonstances facilitèrent l'arrivée au pouvoir de Napoléon Bonaparte, à la faveur du coup d'État du 18 Brumaire. Dès lors, la presse vécut sous la censure. François Lepeltier, lequel avait fui en 1793, reprit la Gazette des départements et lui redonna le titre de son premier journal Affiches, annonces et avis divers de la Basse-Normandie. Lepeltier, inquiété sous la Révolution, son journal avait été saisi, entrait ainsi dans la ligne éditoriale définie par le premier consul, comme en témoigne l'extrait ci-dessous :

 

« Nous écarterons avec la plus sévère attention tout ce qui pourrait réveiller les passions haineuses : aucune diatribe ne soulevera les feuilles de ce journal qui sera dans tous les temps une preuve de notre soumission aux lois et notre vénération pour ceux qui s'en montreront les dignes interprétes » .

 La Renommée ou Journal de Mortagne, 1797

Empire

La presse sous Napoléon

Napoléon Bonaparte comprit qu'il lui fallait contrôler la presse : « Si je lâche la bride à la presse, je ne resterai pas trois mois au pouvoir » Il devait y demeurer 15 ans. Il en fit un instrument de gouvernement, ce qui fit dire au chancelier autrichien Metternich : « Les gazettes valent à Napoléon une armée de 300 000 hommes ». Les Affiches, annonces et avis divers de la Basse-Normandie deviennent la voix officielle du gouvernement. À Alençon en 1803 Louis Dubois, fonde le Journal du département de l'Orne, lequel entend tout faire pour « augmenter l'amour du gouvernement, la soumission aux lois, le respect aux autorités qui en émanent ». Dans la Manche, Lambert crée en 1808 le Journal du département de la Manche. Le préfet dans un rapport écrit :

 
Journal du d*partement de l'Orne, 1803

« Ce journal, étant généralement répandu dans le département, peut puissamment contribuer à donner une bonne direction à l'esprit public et à prévenir l'effet que les nouvelles controuvées par la malveillance - et plus souvent la sottise - font circuler dans les campagnes où les journaux de la capitale ne pénètrent pas. Veillant comme je le fais sur la rédaction de cette feuille périodique, j'estime que sa publication ne peut avoir que des résultats utiles ».

Journal du d*partement de la Manche, 1811
 

La presse se voit conférer un rôle nouveau de par le code civil de 1804. les notaires et huissiers se voient dans l'obligation de publier les annonces légales dans les journaux. Une multitude de feuilles virent ainsi le jour, à la faveur de cette mesure et au grand damne des journaux "politiques" puisque ces derniers détenaient jusque là un quasi monopole de l'information, bien que soumis à la censure. Aussi, le Journal des tribunaux et petites affiches de l'arrondissement de Valognes, le Mémorial de la ville et de l'arrondissement de Bayeux, le Journal et petites affiches de Pont-l'Évêque et Lisieux, pour n'en citer que quelqu'uns, virent le jour en 1807.

Restauration

La Restauration

Louis-Philippe Útouffant la presse

La monarchie censitaire, comme l'Empire, n'eut de cesse de contrôler la presse. Pas moins de 18 réformes législatives régirent son fonctionnement sous ce régime. La Restauration tente par tous les moyens de l'étouffer, comme en témoigne la caricature reproduite ci-contre. La loi Serre introduit le cautionnement en 1819. En cas de condamnation, la caution est encaissée par le Trésor. Cela signifie pour nombre de journaux une cessation pure et simple d'activité. Les journalistes sont donc obligés de pratiquer une certaine forme d'autocensure, ce qui n'empêche pas le Préfet de procéder à une relecture des articles avant parution. Au sortir de l'Empire, la presse bas-normande se limite à un journal par département : Journal du CalvadosJournal de l'OrneJournal de la Manche. Composée du doyen de la faculté de droit, du secrétaire de la faculté de sciences et d'un abbé, la commission de censure ne déborde donc pas d'activité. Son rôle, selon le préfet, est d' « (...) d'écarter des écrits soumis à son examen tout ce qui pourrait porter atteinte à la religion, au Roi ou à la légitimité et aux intérêts reconnus et consacrés par la Charte ».

Lepeltier céde la direction du Journal du Calvados à sa fille Élisabeth en 1819. Dès lors son orientation change radicalement et devint "ultra-libérale". La commission de censure est critiquée, ses membres raillés. La même année, le parti royaliste crée une feuille, l'Observateur neustrien. L'équipe rédactionnelle comprend notamment de Ranville, fils du ministre de l'Instruction publique et des Cultes. On peut lire dans un numéro de juin 1830, lors du retour au pouvoir des "Ultras", les lignes suivantes : « Que là où les idées de désordre et de confusion ont une tribune, les principes conservateurs en aient une ; qu'à ces folles et dangeureuses théories qui ont déjà coûté le sang le plus pur de la patrie, l'on oppose ces doctrines éprouvés par les siècles dont elles portent le cachet ; que la vérité, dans sa noble simplicité, soit la seule réplique à ces viles calomnies dont la presse libérale salit quotidiennement ses feuilles. (...) ». La mode des cabinets de lecture, chambres littéraires dans la Manche, resurgit à cette époque. On y lit bien sûr la presse et l'on y parle politique. Les cafés représentent un danger plus grave en accueillant une clientèle populaire, laquelle se rue sur Le Constitutionnel, journal d'opposition.

Journal d'Alen?on, 1830
L'Ami de la V?rit?, 1832

Le changement de régime n'apporte pas les libertés attendues. Le Pilote, ancien Journal du Calvados, passe dans les rangs de l'opposition et rejoint là le très légitimiste Ami de la vérité, successeur de l'Observateur neustrien. Orléanistes et légitimistes s'affrontent partout, y compris dans les journaux. Le pouvoir finit par avoir raison de L'Ami de la vérité. Les républicains, dont Georges Mancel, s'expriment quant eux dans L'Avenir de Caen puis dans Le Haro, lequel est ouvert aux idées socialistes. En 1842, Pont, son directeur est condamné à verser une amende de 5000 francs ainsi qu'à 13 mois de prison. Depuis 1832, Le Mémorial du Calvados, de l'Orne et de la Manche, créé par le préfet Target, exprime à volonté les idées du pouvoir, lequel est ouvertement attaqué par Le Patriote de Lisieux, feuille au ton très arrogant.

Le Patriote de Lisieux, 1831

La création sous l'Empire des feuilles d'affiches, annonces et avis divers avait doté les plus petites villes de journaux. Ce mouvement s'amplifie sous la Restauration et d'innombrables feuilles voient alors le jour telles les Affiches, annonces et avis divers d'Argentan ; de la ville et de l'arrondissement de Bayeux ; à Mortagne ou encore L'Hebdomadaire à Vire et bien d'autres. Non politiques, ces journaux relatent les faits divers, le cours des matières premières. Ils sont les ancêtres des journaux d'arrondissement. Les feuilletons font leur apparition, tiennent les lecteurs en haleine d'une parution à l'autre et contribuent ainsi à les fidéliser. La tentation est néanmoins grandissante de prendre part au débat politique. À Saint-Lô, L'Écho, Journal du département de la Manche, dirigé par Julien Travers, exprime nettement les idées anticléricales de ce dernier. Aussi, peu à peu, et non sans condamnation et autres tracasseries administratives, quelques journaux passent sous les fourches caudines de la loi, ce qui conduit incontournablement à la création d'une seconde feuille d'avis contraire. C'est ainsi que de simples bourgades telle Honfleur voient s'affronter L'Écho honfleurais et le Journal de Honfleur.

L'Abeille de l'Orne, 1832

Le sous-préfet écrit au sujet du premier : « le fonds est fait de mauvais sentiments et d'idées révolutionnaires » alors que le second « n'a jamais voulu prêter ses colonnes aux attaques des hommes passionnés, ennemis du gouvernement (...) ». Cette presse d'arrondissement forme bel et bien l'ossature de la presse régionale.

Le Pilote, 1830

De nombreuses évolutions atteignent la presse. Le format in octavo de la Révolution et de l'Empire cède sa place à l'in quarto au début de la Restauration puis à l'in folio (environ 32 centimètres sur 45) entre 1830 et 1848. Les colonnes apparaissent, deux puis trois ; les titres adoptent des caractères à peine plus gros que le texte. La presse d'arrondissement reste hebdomadaire alors que le journal politique parait deux à trois fois par semaine. Il est devenu indépendant de l'imprimerie qui l'a vu naître. Son personnel, fort limité, comprend un gérant, lequel assure le plus souvent le rôle de rédacteur, un journaliste et quelques collaborateurs occasionnaires. Les journaux sont surtout vendus par abonnement, lequel est souvent élevé : entre 20 et 25 francs l'année pour les lecteurs du Pilote ou de L'Intérêt public dont les revenus oscillent entre 300 et 500 francs par an pour un ouvrier. Aller au café lire les nouvelles est donc moins onéreux, enfin tout dépend du lecteur.

Journal de Falaise Journal d'Avranches, 1837

Seconde République

Février 1848, Paris est une nouvelle fois le lieu de révoltes pour la troisième fois en moins de 60 ans (1789-1794, juillet 1830 et juin 1848). Louis-Philippe est chassé et la République, Seconde du nom, restaurée le 25 février. La presse bénéficie de cette ouverture : le timbre et le cautionnement sont supprimés. Le Haro déclare : « Nous avons apporté notre grain de sable à la constitution de ce bel et gigantesque édifice, que des ouvriers si nombreux, si grands, si dévoués, si généreux viennent de couronner avec l'héroïsme qui fera l'admiration des races à venir. Vive la République ! ». Certaines feuilles, comme le Patriote de Lisieux, ressucitent tandis qu'une quinzaine de nouvelles apparaissent, certaines dans l'optique de préparer les élections à l'assemblée constituante du 23 avril. L'Intérêt public de Charles Woinez, homme de lettre et imprimeur caennais, dénonce la faillite du nouveau pouvoir : « Le prolétaire continuera d'être esclave, parce que l'instrument de travail, l'argent, ne sera pas, par vous, appelé à changer sa fonction actuelle, parce que l'ignorance, fruit de la misère, entretient et perpétue l'esclavage ».

L'Indicateur se félicite de la chute de Louis-Philippe
Les débuts de la réclame

Cette période marque les débuts de la publicité dans les journaux.

Très vite, les rangs serrés des vainqueurs se distendent. Républicains modérés d'une part et démocrates et socialistes de l'autre s'affrontent. Domin, ancien avoué, monarchiste convaincu, fonde alors L'Ordre et la liberté. « Il n'y a plus que deux partis en France : d'un côté, une faction anarchique, de l'autre, la France qui lutte pour ne pas tomber dans le gouffre où cette faction veut l'entraîner. Nous sommes du parti de la France » peut-on lire dans cette feuille. La tension monte dans Paris. En juin 1848, le général Cavaignac, sur ordre du gouvernement, réprime dans le sang les ouvriers insurgés par l'annonce de la fermeture des ateliers nationaux. Le cautionnement est rétabli. La Mennais, démocrate d'obédience chrétienne, a ces mots lorsque son journal, Le Peuple constituant, disparaît : « Il faut de l'or, beaucoup d'or pour jouir du droit de parler : nous ne sommes pas riches. Silence aux pauvres ». Les heurts sont fréquents, le pouvoir vascille. Les élections présidentielles approchent. Deux candidats sont en lice : le général Cavaignac, chef du gouvernement depuis juin, et le neveu de l'Empereur, Louis-Napoléon Bonaparte, alors complètement inconnu. Le Journal de Cherbourg écrit : « Napoléon n'est qu'un nom, un nom n'est pas un homme et c'est un homme qu'il faut à la France ». Le Journal d'AlençonLe PiloteLe Haro se prononcent contre lui contrairement au Phare de la Manche, au Patriote de Saint-Lô. L'Ordre et la liberté prend fait et cause pour Louis-Napoléon : « Il est un nom. Ce nom a une puissance magique ; il rappelle le rétablissement de l'ordre en France ».

Les résultats plaident en faveur de Louis-Napoléon lequel a obtenu 75 % des suffrages alors que la majorité des journaux s'était prononcés contre. Les législatives d'avril 1849 entérinent cette victoire. C'en est bel et bien terminé de la liberté, toute relative, dont jouissait jusque là la presse. Nombre de journaux tombent, certains résistent à la Réaction. Pont, le très républicain directeur du Haro, parvient à fonder Le Suffrage universel : « L'ignorance, la misère, la calomnie et l'égoïsme peuvent encore, pour quelques temps, fausser le suffrage universel ; mais l'époque n'est pas éloignée où le peuple comprendra ses véritables intérêts ». Le plus ancien journal de la région, Le Publicateur de l'Orne, naît à Domfront en 1850. Il se fait le porte-parole du gouvernement et la droite. La Manche, créée en 1851, a pour sous-titre : " Religion, propriété, famille ". L'Orne, fondée en novembre 1851, ne manque pas de défendre des idées républicaines : « Il faut accepter comme inévitable la révolution sociale que la presse doit accomplir ; on peut entraver la presse dans la marche que lui tracent les événements, mais on ne peut l'empécher de changer la face du monde ». Il n'y a pas de second numéro, Bonaparte met à un terme à la république à la faveur du coup d'état du 2 décembre 1851 et devient empereur un an plus tard.

Second Empire

Un paradoxe caractérise ce régime. Jamais autant énergie ne fut déployée pour museler la presse alors qu'elle atteignait toutes les classes de la population. Louis-Napoléon, imitant là son oncle, se débarasse rapidement des journaux qui lui sont hostiles. Le Haro et Le Suffrage universel, des feuilles "rouges" sont interdites, le Journal de Cherbourg est suspendu. L'autorité des préfets est renforcée alors que le cautionnement est porté à 7500 francs au lieu de 1800 francs. Peu de journaux sont donc créés, guère plus d'une trentaine en 20 ans... et le tiers entre 1868 et 1870.

L'Ordre et la Liberté, 1864

Le Moniteur du Calvados et L'Ordre et la liberté se distinguent par le nombre de leurs abonnés et le Pilote reste le seul organe républicain mais est absorbé en 1857 par le Moniteur. Ce titre personnifie à la perfection le rôle que les préfets faisaient jouer à un journal totalement sous contrôle. En face, seul L'Ordre et la liberté symbolise la presse d'opposition, et encore ce journal conservateur est d'obédience légitimiste. Les républicains, Georges Mancel et Barthélémy Pont en tête, tentaient en vain de faire passer leur message : le lectorat était résolument passé à droite. L'Éclaireur puis Le Progrès du Calvados parurent moins d'un an.

Le Noireau, 1860

L'histoire de la presse ne se limite pas à celle de Caen. Bayeux compte deux feuilles L'Écho bayeusain et L'Indicateur de Bayeux, toutes deux conservatrices tout comme Le Messager de la Manche, à Saint-Lô. L'Orne reste dépourvue de presse politique, ce qui, en 1857, incite le préfet à autoriser Auguste Poulet-Malassis et Eugène Debroize à transformer le Journal d'Alençon en feuille politique. Malassis, républicain, condamné en 1848, s'est engagé à ne plus attaquer le gouvernement. Selon le préfet, le rédacteur « mettra son journal à la disposition de l'administration ». Loin de servir le pouvoir, ce journal demeure neutre, jusqu'à ce qu'un article de 1866 critique la guerre menée au Mexique. Le préfet demande la création d'un organe qui serve véritablement l'empereur. Le Courrier de l'Ouest apparaît donc en 1867 et est dirigé par Henri Dugué de la Fauconnerie.

La déclaration de guerre de la France à la Prusse en juillet 1870 scelle le sort du Second Empire. C'est la bérézina dans les rangs de l'armée française, Sedan marque la victoire prussienne. Napoléon III est fait prisonnier. Un gouvernement de défense nationale, dirigé par Léon Gambetta, décide de poursuivre la guerre.

Seconde partie : 1871-1944

Des débuts difficiles 1871-1880

Le pays est sous le choc, l'Empereur est le prisonnier de Bismarck. Le Moniteur du Calvados est abasourdi : « Où allons-nous ? » se demande-t'il. Paris est assiégé. Le gouvernement prend une série de mesures libérales, le timbre et le cautionnement sont supprimés. Tous les journaux peuvent dorénavant traiter de politique. Paris capitule. Bismarck impose la tenue d'élections législatives en février 1871. Les conservateurs l'emportent. Les républicains comme les légitimistes, représentés par Thiers, alors chef du gouvernement, avaient subi les foudres du régime antérieur. Thiers classait la liberté de la presse comme faisant partie des « libertés nécessaires ». C'est alors qu'en mars la Commune éclate, le peuple de Paris se soulève, une fois encore, après 1789, 1830 et 1848, et tient la capitale. Le gouvernement se réfugie à Versailles. La Commune prend des mesures contre les journaux conservateurs et républicains.

Une presse jacobine, socialiste et anarchiste fleurit alors. La répression est sanglante à l'image de l'exécution des fédérés au cimetière du Père-Lachaise. La République, restaurée, est plus que jamais aux mains d'un parti conservateur qui aspire à restaurer la monarchie contre l'anarchie. C'est le début de l'Ordre moral. Une série de mesures drastiques est adoptée, restreignant les libertés individuelles et le droit d'expression. Partout en France les Préfets interdisent les journaux jugés coupables de partager les convictions de la Commune ou tout simplement républicain. Dans le Calvados, Le Franc-parleur normand « [...] qui ayant soutenu la Commune de Paris, est condamné sans rémission le 16 juin 1871 ; quant au Courrier de Normandie, quotidien républicain publié à Caen, du 16 janvier au 17 juin 1871, il avorte sous prétexte du rétablissement du cautionnement [...] ».

En 1877, le souvenir de la Commune ravive des blessures plus lointaines mais réelles. Les journaux conservateurs se référent sans cesse à la Révolution et aux journées sanglantes de la Terreur :

« Si les radicaux l´emportent, dixit Le Bon Sens Normand, [...] nous verrons siéger à Versailles une Chambre décidée à engager le Maréchal de Mac-Mahon dans une lutte qui ne peut se terminer que par une révolution nouvelle et aboutira à l´anarchie d´abord, à un cataclysme social ensuite. [...] La Convention qui inonda la France de sang lorsqu´elle fut dirigée par Robespierre, la première Commune de Paris qui poussa la cruauté jusqu´à la folie et au ridicule, sous la domination sinistre d´un criminel nommé Hébert, la seconde Commune de Paris dont tout le monde se souvient, tenaient leurs pouvoirs d´un nombre infime d´Électeurs. [...] »

Le Bonhomme normand, 1877
Le Progrès de l'Orne

Fin septembre 1877, L´Ordre et la Liberté publie un manifeste signé par nombre d´aristocrates députés ou Sénateurs invitant les électeurs à se prononcer pour les candidats conservateurs. Les dernières lignes anticipent la loi de séparation, crainte parmi les craintes de nombre de conservateurs dont Auguste Leprovost-Delaunay, bonapartiste, qui estime dans L´Écho bayeusain, que si Mac-Mahon n´était pas là : « [...] de graves dangers menaceraient la Religion [...] »

C´est l´un des points du programme de la Démocratie républicaine socialiste de la Seine que les Conservateurs dénoncent.

L´Ordre et la Liberté reproduit le programme des républicains socialistes, lesquels réclament :

« L´amnistie sans restriction... sauf pour Mac-Mahon et ses Ministres ; la séparation des Églises et de l´État ; l´instruction exclusivement laïque, gratuite et obligatoire ; la liberté absolue de la presse ; le divorce et l´émancipation de la femme ; l´élection au suffrage universel ; etc. jusqu´au 22ème point portant sur la suppression du Sénat. »

Nombre de ces propositions feront l´objet, plusieurs années après, d´une attention notamment en ce qui concerne la séparation, l´instruction et la loi sur la presse. L´Ami de l´Ordre, organe bonapartiste, met l´accent sur le danger d'une victoire républicaine :

« Il s´agit de savoir si le pays entend être solidaire de la politique des 363 qui nous conduisait tout droit à la ruine sociale et à la guerre étrangère, ou s´il s´associe à la politique réparatrice du 16 mai [...] qui lui garantit sa sécurité intérieure et extérieure.»

 

« [...] Le ministère a été renversé et remplacé par un ministère conservateur : la guerre s´est brusquement ouverte entre le Maréchal de Mac-Mahon et Monsieur Gambetta, entre la réaction conservatrice qui occupe aujourd´hui le pouvoir, et le radicalisme, qui, hier encore, tenait le pays presque tout entier [...] »

L’âge d’Or (1881-1914)

La loi du 29 juillet 1881 constitue un tournant capital dans l'histoire de la presse. Marc Martin soulignait à ce sujet que la loi de 1881 avait rompu « [...] tout lien de dépendance légale de la presse à l'égard du pouvoir politique, a[vait] transféré les relations entre le journalisme et le politique dans le domaine de la sphère privée ». Pierre Albert, historien de la presse, ajoute que cette loi « [...] négligeait aussi de protéger la presse contre le pouvoir, désormais autrement dangereux pour elle, des puissances d'argent, et cette liberté ne garantissait pas l'indépendance des journaux ». Cette question d'importance trouve sa justification en 1892 lorsqu'éclata le scandale de Panama (versements de bakchichs à de nombreux directeurs de journaux parisiens - dont Georges Clémenceau - et de rédacteurs). Ce fut avec l'affaire Dreyfus, la cible préférée de la presse d'extrême droite malgré l'implication du rédacteur de La Revue des Deux Mondes, Léon Daudet - futur fondateur de l'Action Française. Celle-ci dénonça les Francs-Maçons et les Juifs qui étaient impliqués, selon elle, dans toutes sortes d'affaires douteuses. Pierre Albert conclut par ces mots :

« La loi ne fut remise en cause qu'à l'occasion de la crise anarchiste par les fameuses lois scélérates qui, en décembre 1893, élargissait la notion de provocation au crime par voie de presse et, en juillet 1884, déférait à la correctionnelle les articles qui ont un but de propagande anarchiste. Une fois la crise passée, ces textes tombèrent en désuétude. »

L'essor de la presse s'explique également par les progrès réalisés dans le domaine technologique. Les rotatives, de plus en plus perfectionnées et de tailles de plus en plus importantes, sortaient des journaux à la pagination abondante, à un rythme élevé. En 1914, 50 000 exemplaires de 24 pages pouvaient être imprimés en une heure grâce à plusieurs machines, plusieurs sorties. Si certaines techniques n´évoluèrent que lentement, la composition, quant à elle, connut une véritable révolution avec la découverte des composeuses mécaniques. C´est le linotype, élaborée en 1884 à Baltimore par Ottmar Mergenthaler qui s´imposa malgré les réticences des ouvriers typographes et des fondeurs de caractères. L´illustration se modernisa avec l´incrustation de photographies grâce à la similigravure en 1882, procédé découvert par l´Allemand Georg Meisenbach puis amélioré par l´Américain Ives en 1885. En 1895, le Tchêque K. Klic et l´Anglais S. Fawcett lancèrent la première rotative moderne à impression héliographique. L´héliogravure permit de graver directement des textes sur les cylindres des rotatives. La lithographie, procédé assez ancien, donna naissance au début du siècle à l´Offset. Enfin, la transmission des clichés photographiques par fils ou ondes fut découverte par Korn en Allemagne et par le Français Eugène Belin qui perfectionna son appareil. Ce dernier donna son nom au cliché ainsi transmis : le bélinographe.

L'Indicateur de Bayeux, comme nombre de journaux a donc vu sa maquette évoluer. Trois numéros de 1848, 1871 et 1936 en témoignent.

L'Indicateur de Bayeux 1848 L'Indicateur de Bayeux 1871 L'Indicateur de Bayeux 1936

Les journaux se transforment en voyant leur pagination grossir. Les feuilles à grands tirages passent à 6 pages vers 1899-1903 puis à 8 en moyenne en 1914. La mise en page se clarifia et des règles s'imposent :

  • colonnes - Le Moniteur du Calvados -,
  • grands titres, illustrations vers 1885-1890 et
  • après 1900 les photos - La Revue illustrée du Calvados.

La presse se diversifia. Les journaux populaires cotoyaient les journaux de qualité. Aussi, le prix variait d'un journal à un autre. En 1905, La Vigie de Cherbourg, bi-hebdomadaire, était vendue 5 centimes tandis que Le Granvillais et Le Journal de l'Orne, deux hebdomadaires étaient vendus 5 et 10 centimes. La Revue illustrée du Calvados, mensuel sorti en 1907, était vendue 40 centimes en 1910 puis 50 en 1913. Le Moniteur du Calvados, hebdomadaire, restait à 5 centimes en 1914. Le prix du Lexovien, journal paraissant deux fois la semaine, était de 25 centimes en 1922. Dans la Manche et un peu plus tard, Le Courrier de la MancheL'Écho de la Manche et Le Mortainais, trois hebdomadaires de fin de semaine, étaient vendus 25 centimes.

La vie politique, au début du siècle, suivait un rythme désormais bien connu, scandé par des renversements d'alliances et des chutes de cabinets ministériels, complètement imprévisibles, mais tout aussi attendus que les élections législatives générales qui se déroulaient tous les cinq ans. Aussi, était-il prévu de procéder en 1906 au renouvellement de la Chambre des députés.

La CroixLa législature qui s'achevait, expirait dans un climat exécrable, nourri par les passions de l'heure : l'Affaire Dreyfus, celle des Fiches et l'adoption de la loi qui instaura la Séparation en décembre 1905. Au sujet de cette dernière, Le Glaneur, édition bayeusaine de la très républicaine feuille caennaise le Réveil Normand, eut ces mots :

« Les véritables ennemis de la religion sont les prêtres qui font de la politique. »

Si partout en France, cette élection vit s'affronter "Réactionnaires" et "Blocards", conservateurs et républicains, ce n'était pas le cas à Bayeux où la gauche, quasi inexistante, ne présenta pas de candidat. L'effet conjugué des candidatures du baron Gérard, député monarchiste sortant à la forte personnalité, et du nationaliste Louis d'Arthenay, avait annihilé de facto toute chance de succès républicain.

L'antisémitisme et le complot judéo-maçonnique revenaient sans cesse dans les colonnes. Le Glaneur de la Manche évoquait la "Constitution tronquée". Ce même journal dénonçait avec La Revue antimaçonnique la "trahison des Loges" et la "conjuration juive".

L'Avenir de l'Orne 1910

Lors des élections législatives de 1910, Adrien Dariac, candidat de la gauche était soutenu par L'Avenir de l'Orne, tandis que l'Indépendant de l'Orne propageait la bonne parole du comte de Lévis-Mirepoix, député sortant

L'Indépendant de l'Orne 1910 

La candidature du comte de Lévis-Mirepoix, L'Indépendant de l'Orne, 1910

La Vigie de Cherbourg 1906Dernier candidat, avec Ernest Flandin et Jules Delafosse, à se réclamer du bonapartisme, Fernand Engerand, député de la seconde circonscription de Caen, était le fils d'Auguste Engerand, élu en 1889 sous l'étiquette bonapartiste-boulangiste dans la circonscription de Caen I. Auguste Engerand écrivait à la fin des années 1870 dans L'Ami de l'Ordre, organe bonapartiste. Si les républicains, forts des succés de Henry Chéron dans la première circonscription de Caen et d'Albert Mahieu à Cherbourg lors du scrutin de 1906, ne faisaient plus figures de novices, ils eurent bien des difficultés à trouver un homme pour affronter le député sortant de Caen.

Journal de Cherbourg, républicain de concentration des Groupes de gauche, élection législative de 1906.

L'Écho Normand prend fait et cause pour Fauchier-Delavigne, candidat républicain, 1914

L'Echo Normand 1914 Emmanuel Fauchier-Delavigne fut celui-ci. Inconnu, cet industriel parisien originaire de la région de Caen, ne reçut pour ainsi dire jamais le soutien des feuilles républicaines qui s'étaient pourtant multipliées pour l'occasion. En effet Étienne Knell et Auguste Nicolas, respectivement candidats républicain libéral et radical dans la première circonscription, bénéficièrent du soutien de L'Égalité et du Courrier Normand, deux journaux à l'existence éphèmère car créés pour les besoins des élections. Seuls Le Journal de Caen et La Semaine Normande apportèrent leur concours à Fauchier-Delavigne. L'une des nouveautés de ce scrutin résidait dans l'apparition de l'isoloir que Le Bonhomme Normand considérait comme une grotesque cabine :

« [...] Pourquoi imposer [...] ce passage dans un petit confessionnal civique ? On a beaucoup critiqué certaines pratiques religieuses extérieures. Aucune pourtant n'a le caractère burlesque de cette cérémonie électorale. »

Les républicains font quelques progrès, emportent quelques mairies. Les socialistes n'ont, dans la région et à cette époque, jamais vraiment réussi à s'imposer. QuelqLe Semeurues journaux virent cependant le jour. L'un des premiers fut sans doute Le Haro en 1892, suivi en 1902 par Le Travailleur socialiste, en 1905 du Semeur et de Combat en 1907. Bien d'autres suivront après guerre. 

acrobaties aériennes dans Le Nouvelliste, 1914

Le sensationnel fait ses débuts dans la presse. Le Nouvelliste en est la parfaite illustration. Le temps est à la fête, on ne se soucie guère du lendemain et on annonce un bel été.

Le Nouvelliste

La presse à l'épreuve de la guerre

Le Bonhomme normandLa guerre éclata soudainement bien que le climat était tendu de longue date et notamment depuis Agadir. Des alliances s'étaient constituées et le service national avait été porté à 3 ans en 1913. Mais l'esprit de revanche était bel et bien réel. Ne fallait-il pas un jour ou l'autre reprendre les provinces "perdues" en 1871 ? Le Bonhomme Normand se fit l'écho de l'imminence de la guerre en titrant "La Guerre Menaçante" (ci-contre).

Le conflit créa aux journaux des difficultés considérables. Le personnel fut mobilisé, le papier se fit rare, la diffusion était compliquée par les problèmes que connaissait le réseau ferroviaire, lequel avait contribué à son essor, à sa diffusion. La conjoncture - la montée des prix et en particulier de celui du papier - obligea les journaux à augmenter leur prix de vente, ce qui en ces années difficiles leur fit perdre nombre de lecteurs, ce malgré la diminution des frais consécutive à la réduction de la pagination - on était passé de quatre à deux pages. Il convient d'ajouter que les journaux avaient souvent une trésorerie peu florissante du fait du peu de marge réalisé pendant de nombreuses années. Un des premiers effets de ces difficultés fut la disparition d'un grand nombre de journaux. Il y eut pendant cette période, en Basse-Normandie, deux fois plus de fermetures - 54 - que de créations, 26. 33 cessèrent toutes activités en 1914.

Quelques salariés

Une autre répercussion du conflit fut la fusion des titres. Aussi, cela fut-il le cas dans le Sud-Ouest de la Manche. Parmi les 20 journaux qui cessèrent de paraître après la déclaration de guerre, 3 des 5 titres qui jusqu'à cette date étaient des éditions cantonales du Réveil Avranchinais, ainsi que ce dernier, parurent quotidiennement pendant toute la durée des hostilités sous le titre unique de Réveil. Nouvelles de la Guerre.

une imprimerie

Le Bonhomme normand censuré 1914La censure allait jouer à plein. Le Ministère de la Guerre contrôlait les publications au moyen du Bureau de presse. Une morasse, c'est à dire une épreuve des pages de leurs journaux devait être déposée par les journaux et le bureau de presse censurait les textes qui faisaient preuve de trop de liberté. Le Ministère de la Guerre donnait des instructions aux Préfectures lesquelles les transmettaient à la presse. On recommandait de ne pas toucher aux obus ou encore la presse informait les réservistes de telle classe ou telle classe d'un départ imminent. Ce manque d'information est significatif d'une censure omniprésente. Si les journaux ne respectaient pas les ordres, ils s'exposaient à des saisies voire à des poursuites et à des suspensions. Le conflit servit de prétexte pour interdire de publication plus facilement qu'en temps de paix : plus que jamais la censure fut une arme politique. 11 journaux de la région furent censurés et saisis pendant le conflit.

3e Région Caen, le 25 décembre 1916

Place de Caen

Le Général CHAPLAIN

Commandant d'Armes

à Monsieur le Préfet du Calvados

J'ai l'honneur de vous communiquer message ci-après que je reçois de la 3e Région ;

CONSIGNE DE PRESSE.

Ne pas laisser passer dans les journaux aucune information relative à des exécutions de femmes espionnes.

A.D. Calvados, R. 2537

Le Bonhomme Normand, victime de la censure, 1914

L'entre-deux-guerres

Ces années sont marquées par le déclin du régime parlementaire. Le nombre croissant de scandales, les attaques répétées de l'extrême droite font vaciller le pouvoir.

La succession du Sénateur de l'Orne, Robert Leneveu, décédé, allait donner lieu à une passe d'armes entre feuilles républicaines et conservatrices, entre La Tribune de l'Orne, L'Écho de l'Orne, l'Écho de Paris, d'une part et Le Courrier normandL'Informateur de l'Orne et L'Avenir de l'Orne d'autre part. Des plumes illustres, telles celles d'Henri de Kérillis et de François Albert, et moins connues - Albert Ranc - se prononcèrent pour l'un ou pour l'autre des candidats. Très vite, cette élection sénatoriale partielle intéressa la France entière tant elle dépassait les murs de la cité des ducs d'Alençon.

La Tribune de l'Orne

Les émeutes du 6 février 1934 sont d'une rare violence. Le Front Populaire remporte les élections de mai 1936. Le gouvernement fait interdire les Ligues et autres mouvements paramilitaires, ce qui vaut à Roger Salengro d'être la cible de l'extrême-droite.

La Normandie populaire

La montée du fascisme inquiète aussi quand il ne fascine pas. Le Pays normand et le Réveil Falaisien, pour ne citer que ces deux journaux de gauche se font l'écho des nouvelles d'alors, et quelles nouvelles.

Le baron Georges Roulleaux-Dugage, député de Domfront et propriétaire du Courrier de Flers loue, quant à lui, les politiques natalistes allemandes et italiennes et n'hésite pas à remettre en cause la démocratie et la République(*).

Pieuvre maçonnique

Tout comme Mussolini qui débuta sa carrière à l'extrême-gauche, certains hommes politiques français suivent le même chemin. Mais qu'il est déroutant de lire dans un journal censé défendre les travailleurs et qui se référe à l'Humanité des propos odieux. Le Journal des Charbonniers est pour le moins équivoque.

L'Echo de la MancheL'entrée de Gustave Guérin, député sortant de Mortain, au Palais du Luxembourg en décembre 1936, provoque une élection législative partielle en 1937. Ce scrutin revêt une signification particulière. C'est en effet la première fois que le Parti Social Français (P.S.F.), héritier de la ligue des Croix de Feu, présente un candidat à une élection législative. Candidat qui aurait pu être Jean Goy, Président de l'Union Nationale des Combattants, mouvement le plus à droite des associations d'anciens combattants. Connu pour être allé serrer la main d'Hitler, Goy fonda plus tard, avec Marcel Déat, le très collaborationniste Rassemblement National Populaire (R.N.P.). L'Écho de la Manche porte en sous-titre : "organe de Rénovation politique, sociale et paysanne.", Vichy avant l'heure somme toute.

Les relations internationales sont au plus mal. Le conflit est inéluctable. Les troupes allemandes franchissent la frontière polonaise. Le jeu des alliances entraîne le pays dans la guerre.

La Seconde Guerre Mondiale et ses effets

Front nationalLe déclin amorcé se concrétise avec la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939. Une série de mesures répressives et préventives est édictée par décrets-lois. Le 26 août la presse communiste est interdite.

Vichy s'installe sans coup férir. La presse est de nouveau muselée et la censure sévit. La presse accueille favorablement le nouveau pouvoir. Certaines feuilles poussent le vice jusqu'à collaborer ouvertement et faire l'apologie du régime. L'Ouest-Éclair et la Presse Quotidienne Caennaise illustrent cette tendance tout comme L'Éclaireur, journal républicain de Basse-Normandie. Ce dernier journal est alors dirigé par Gustave Guérin, ancien député de Mortain, qui en 1943, écrit un article laudateur sur Jacques Doriot dans l'Opinion de la Manche.

La presse clandestine circule tant bien que mal. Une feuille, Front national, publiée par un groupe de résistant communiste paraît. La Libération voit nombre de journaux disparaître sous les bombes ou sont interdits par les ordonnances prises par le Gouvernement Provisoire de la République Française. Une véritable épuration débute alors. Une nouvelle presse voit le jour, souvent dirigée par des résistants, d'obédience démocrate chrétienne et - ou gaulliste. Le MondeOuest-FranceLiberté de NormandieLa Renaissance du Bessin sont autant d'exemples.

Brevet

Méthodologie : Rédiger un développement construit 

Histoire

Géographie